Après les intempéries, le douloureux inventaire des pertes
// Ce 12 et 13 juin, l’eau a tout balayé sur son passage ou bien stagné plusieurs jours dans les parcelles, asphyxiant les cultures et hypothéquant tout espoir de semis ou resemis. L’heure n’est donc pas encore au bilan définitif des dommages mais à leur recensement.
Le paysage est surréaliste. Un chêne dont le tronc mesure à coup sûr plus de trois mètres de circonférence repose en équilibre sur un talus de pierres. Quelques mètres en contrebas, une parcelle apparaît, complètement ravagée. Si quelques tiges de kiwis ne restaient pas en bordures, il serait impossible de deviner ici la présence d’un verger avant cette date du mercredi 13 juin. Ce jour-là, la crue du Gave d’Oloron qui coule en contrebas a tout ravagé.
Aux abords de l’Adour et des Gaves, la violente montée des eaux vécue mercredi 13 juin a donc très durement frappé un grand nombre de vergers du plus grand terroir kiwicole de France. Si quelques hectares ont été totalement détruits, une grande partie des surfaces a souffert des dégâts consécutifs aux inondations.
La prochaine récolte fortement compromise
Selon les premières estimations, 40% des vergers ont subi la montée des eaux selon une hauteur et durant un laps de temps plus ou moins importants. Cette proportion représente une surface comprise entre 500 et 600 hectares. «Pour l’heure, on estime qu’entre 4.000 à 4.500 tonnes de fruits ne seront probablement pas produites», souffle François Lafitte, président de la coopérative Scaapkiwifruits. Pour la structure basée à Labatut, les pertes pourraient atteindre 2.000 à 2.500 tonnes. Un chiffre à mettre en perspective avec une récolte traditionnelle avoisinant 10.000 tonnes.
Ces dégâts sont intervenus alors que la période de pollinisation était terminée. «On est au stade du grossissement des kiwis. C’est une phase assez sensible, durant laquelle ont dit que le fruit doit accrocher», indique le responsable. Aujourd’hui, les professionnels sont donc très inquiets et s’interrogent sur l’évolution de ces kiwis. «Leur devenir reste hypothétique, explique François Lafitte. Beaucoup pourraient tomber rapidement en raison d’un phénomène d’asphyxie».
L’entretien des cours d’eau pointée du doigt
Pour plusieurs producteurs de kiwis, la récolte 2018 est donc d’ores et déjà perdue sur ces quelques vergers. Et ils s’interrogent sur leur volonté de poursuivre plus loin. Car cette crue est la troisième que subit le secteur en l’espace de cinq ans. «En juin 2013, on a connu un épisode similaire, explique Guy Soula. Une montée des eaux a également eu lieu en janvier 2014. Mais celle que nous venons de vivre dépasse encore tout cela».
La manière dont a été géré l’entretien du cours d’eau ces dernières décennies est également pointée du doigt. Des dépôts se sont accumulés et le problème n’a jamais été pris à bras-le-corps. C’est aujourd’hui un problème complexe qui se pose. À l’écoute de leurs témoignages, les agriculteurs locaux ont l’impression de payer le prix d’une politique de gestion des cours d’eau totalement inadaptée.
Perte de fonds
Outre les plantations de kiwis, ce sont des parcelles de maïs qui ont été littéralement dévorées. La couche de sol a été décapée sous la violence du courant et les remous ont creusé des trous béants mesurant plusieurs mètres de profondeurs. Les accès ont été totalement détruits. Des rochers pesant assurément plusieurs tonnes jonchent çà et là le terrain. Ils laissent imaginer la déferlante des flots. La crue n’a pas duré plus de 24 heures mais a été dévastatrice.
Au-delà des champs totalement détruits, beaucoup d’autres parcelles du secteur ont enregistré d’autres types de dommages, avec des dépôts de déchets et de limon parfois spectaculaires, comme dans certains vergers de Cauneille. Les autres surfaces de maïs ont également beaucoup souffert. Les plantes qui n’ont pas été arrachées ont vu de la vase se déposer dans le cornet, rendant leur pousse désormais impossible.
Deux fois plus de précipitations
Ces violentes intempéries de la semaine dernière sont venues se rajouter à un cumul pluviométrique depuis le 1er janvier, en hausse de plus de 50% par rapport à la normale en Béarn (avec des pics à près de 70%) et de plus de 45% en Pays basque.
L’excès d’humidité a fortement pénalisé plusieurs milliers d’hectares de céréales à paille, dont l’état sanitaire est préoccupant. Dans les Pyrénées-Atlantiques, 15% des surfaces en maïs n’ont pu être semées, soit 17.500 hectares. En ce qui concerne les surfaces emblavées, les conditions de semis et de pousse ont été médiocres entraînant des retards de développement importants, notamment dans le piémont et les coteaux. Les orages localisés ont également provoqué des coulées de boues et du ravinement.
Foins et pâturages impossibles
Plus de 80% des foins de première coupe n’ont pu être récoltés ou l’ont été dans des conditions médiocres. Le stade d’optimum de qualité est dépassé, le fourrage sur pied a versé et commencé sa phase de sénescence. Près de 70.000 hectares de prairies temporaires sont également impactés. Les cultures dérobées n’ont pu être correctement valorisées, plus de la moitié a été détruite sur place.
Le pâturage par les ovins a été fortement perturbé entraînant une baisse de la collecte laitière de 1,2%, la consommation prématurée des stocks fourragers et le recours accru aux achats extérieurs. Idem pour les bovins. Mises à l’herbe retardée, parcelles fortement dégradées par le piétinement des animaux : elles devront être ressemées à l’automne. Plus de 96.000 hectares de prairies permanentes sont en ce moment inexploitables. La présence des animaux dans les bâtiments a été prolongée de plus de 1,5 mois, entraînant l’épuisement des stocks fourragers, une surconsommation de concentrés et un surcoût de litière. Des achats précoces de fourrages grossiers ont été nécessaires pour pallier le déficit.
Dans ce contexte, les responsables de la filière souhaitent que les pouvoirs publics prennent la pleine mesure des difficultés qui s’annoncent. Un soutien spécifique va être nécessaire. Il apparaît également indispensable d’abonder le fonds de soutien des calamités agricoles. D’autant que les pertes de fonds pourraient continuer à grimper.