Il y a 75 ans, la FNSEA était portée sur les fonts baptismaux du Serment de l’unité paysanne
// C’est dans la nuit du 13 au 14 mars 1946 que la FNSEA a tenu son congrès constitutif. Retour historique sur ces journées qui ont vu naître une institution ancrée dans le paysage économique et social français.
En ce mois de mars 1946, les Français sortent d’une guerre qui a marqué les corps et les esprits. Le pays est exsangue et peine à nourrir sa population. Les cartes de rationnement (lait, sucre, pain, viande…) auront d’ailleurs cours jusqu’en 1949/1950, le temps que la production agricole retrouve ses rendements d’avant-guerre.
La France se reconstruit petit à petit, car la tâche est immense. Elle solde ses comptes avec le régime de Vichy. Les journaux, souvent réduits à une seule page recto verso par manque de papier, titrent sur les procès de la collaboration, sur celui de Nuremberg, du docteur Petiot qui défraye alors la chronique.
La France a faim
Elle évoque aussi le ravitaillement en blé tant attendu. «Il faudra avoir recours à des cargos américains pour amener en France le blé cédé par l’URSS», titre le quotidien Combat du 19 mars 1946. Car la récolte française de 1945 a été la plus faible enregistrée depuis vingt ans : seulement 43 millions de quintaux (Mqx). Les besoins d’importation ont été évalués à plus de 27 Mqx, indique le même quotidien.
Les journaux s’intéressent aussi au congrès de la Confédération générale de l’agriculture (CGA) qui, le 12 octobre 1944, a officiellement pris le relais de la Corporation paysanne, dissoute par le gouvernement provisoire de la République française.
Le 8 juin 1945, la liberté syndicale est rétablie mais quatre mois plus tard, jour pour jour, le 8 octobre, le gouvernement s’empresse de restreindre cette liberté pour les agriculteurs. Les syndicats agricoles se retrouvent même exclus du droit commun. Il faut attendre la loi du 12 mars 1946 pour qu’ils puissent, de nouveau, voir le jour. Ce que fait la FNSEA le 13 mars.
Serment de l’Unité paysanne
Pour reconquérir une souveraineté alimentaire qui ne dit pas encore son nom, pour assurer l’autosuffisance d’une population française en proie à la sous-alimentation et à la malnutrition, les agriculteurs, sous la houlette de leur tout premier président, Eugène Forget, font le serment, à mains levées, de l’unité paysanne.
«Je fais le serment de l’unité paysanne ! Je fais le serment que plus jamais chez nous on ne pourra exercer en même temps un mandat syndical et un mandat politique», lance Eugène Forget. Ce militant du MRP (Mouvement républicain populaire) entend incarner la famille paysanne, une famille plurielle (exploitants, salariés agricoles, techniciens, coopératives…), qui doit se rassembler et non se déchirer et régler ses comptes en ces temps de reconstruction.
Difficile quadrature
Il faudra cependant plusieurs tours de scrutin avant que les délégués paysans de France ne s’entendent pour lui confier le soin de «sauver la paysannerie» et transcender les conflits d’intérêts entre grandes cultures et l’élevage, entre les bailleurs et les fermiers, entre l’agriculture de plaine et celle de montagne. Les statuts de la FNSEA donnent droit de cité aux associations spécialisées qui «doivent agir dans le cadre des directives de la politique générale agricole arrêtée par la FNSEA».
À cette époque, la FNSEA est partie intégrante de la CGA. Il faut attendre le deuxième congrès, en 1947, pour que les velléités d’indépendance commencent à s’afficher. Le rapport moral adopté demande qu’une distinction soit faite entre la CGA et la FNSEA, «distinction dans leur nature et dans leur rôle, ayant pour conséquences une répartition précise des attributions et une organisation interne des services assurant à la FNSEA sa pleine indépendance sur un plan fédéral».